ARRÊT DE LA COUR (première chambre)
19 décembre 2013 ( *1 )
«Compétence judiciaire en matière civile et commerciale — Règlement (CE) no 44/2001 — Article 2 — Article 5, point 1, sous a) et b) — Compétence spéciale en matière contractuelle — Notions de ‘vente de marchandises’ et de ‘fourniture de services’ — Contrat de concession de vente de marchandises»
Dans l’affaire C‑9/12,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le tribunal de commerce de Verviers (Belgique), par décision du 20 décembre 2011, parvenue à la Cour le 6 janvier 2012, dans la procédure
Corman-Collins SA
contre
La Maison du Whisky SA,
LA COUR (première chambre),
composée de M. A. Tizzano, président de chambre, M. A. Borg Barthet et Mme M. Berger (rapporteur), juges,
avocat général: M. N. Jääskinen,
greffier: M. V. Tourrès, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 31 janvier 2013,
considérant les observations présentées:
—
pour Corman-Collins SA, par Mes P. Henry et F. Frederick, avocats,
—
pour La Maison du Whisky SA, par Mes B. Noels et C. Héry, avocats,
—
pour le gouvernement belge, par MM. T. Materne et J.‑C. Halleux ainsi que par Mme C. Pochet, en qualité d’agents,
—
pour le gouvernement suisse, par M. O. Kjelsen, en qualité d’agent,
—
pour la Commission européenne, par M. M. Wilderspin, en qualité d’agent,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 25 avril 2013,
rend le présent
Arrêt
1
La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 2 et 5, point 1, sous a) et b), du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1, ci-après le «règlement»).
2
Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Corman-Collins SA (ci-après «Corman-Collins»), établie en Belgique, à La Maison du Whisky SA (ci-après «La Maison du Whisky»), établie en France, au sujet d’une demande d’indemnisation en raison de la résiliation d’un contrat de concession de vente de marchandises qui aurait lié ces sociétés.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3
L’article 2 du règlement, qui figure à la section 1, intitulée «Dispositions générales», du chapitre II de ce dernier, relatif aux règles de compétence, énonce, à son paragraphe 1, le principe selon lequel, «[s]ous réserve des dispositions du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre».
4
L’article 3 du règlement, qui fait également partie de la section 1 du chapitre II de ce dernier, précise:
«1. Les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre ne peuvent être attraites devant les tribunaux d’un autre État membre qu’en vertu des règles énoncées aux sections 2 à 7 du présent chapitre.
2. Ne peuvent être invoquées contre elles notamment les règles de compétence nationales figurant à l’annexe I.»
5
Aux termes de l’article 5 du règlement, qui figure à la section 2, intitulée «Compétences spéciales», du chapitre II de ce dernier:
«Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite, dans un autre État membre:
1)
a)
en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l’obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée;
b)
aux fins de l’application de la présente disposition, et sauf convention contraire, le lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande est:
—
pour la vente de marchandises, le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées,
—
pour la fourniture de services, le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis;
c)
le point a) s’applique si le point b) ne s’applique pas;
[...]»
Le droit belge
6
La loi du 27 juillet 1961 relative à la résiliation unilatérale des concessions de vente exclusive à durée indéterminée (Moniteur belge du 5 octobre 1961, p. 7518), telle que modifiée par la loi du 13 avril 1971 relative à la résiliation unilatérale des concessions de vente (Moniteur belge du 21 avril 1971, p. 4996, ci‑après la «loi belge du 27 juillet 1961»), définit la «concession de vente», à son article 1er, paragraphe 2, comme étant «toute convention en vertu de laquelle un concédant réserve, à un ou plusieurs concessionnaires, le droit de vendre, en leur propre nom et pour leur propre compte, des produits qu’il fabrique ou distribue.»
7
L’article 4 de cette loi prévoit:
«Le concessionnaire lésé, lors d’une résiliation d’une concession de vente produisant ses effets dans tout ou partie du territoire belge, peut en tout cas assigner le concédant, en Belgique, soit devant le juge de son propre domicile, soit devant le juge du domicile ou du siège du concédant.
Dans le cas où le litige est porté devant un tribunal belge, celui‑ci appliquera exclusivement la loi belge.»
Le litige au principal et les questions préjudicielles
8
Corman-Collins et La Maison du Whisky ont entretenu pendant une dizaine d’années des relations commerciales dans le cadre desquelles la première achetait auprès de la seconde des whiskys de diverses marques, dont elle prenait livraison en France, pour les revendre en Belgique.
9
Pendant toute cette période, Corman-Collins a fait usage de l’appellation «Maison du Whisky Belgique» et d’un site Internet dénommé «», sans que cette utilisation suscite de réaction de la part de La Maison du Whisky. En outre, les coordonnées de Corman-Collins étaient mentionnées dans la revue Whisky Magazine, éditée par une filiale de La Maison du Whisky.
10
Au mois de décembre 2010, La Maison du Whisky a interdit à Corman-Collins d’utiliser l’appellation «Maison du Whisky Belgique» et a fermé le site . Au mois de février 2011, elle a informé Corman-Collins que, à partir respectivement du 1er avril et du 1er septembre 2011, elle confierait la distribution exclusive de deux marques de ses produits à une autre société, par l’intermédiaire de laquelle Corman-Collins était désormais invitée à passer ses commandes.
11
Corman-Collins a attrait La Maison du Whisky devant le tribunal de commerce de Verviers aux fins, à titre principal, de la faire condamner, sur le fondement de la loi belge du 27 juillet 1961, au paiement d’une indemnité compensatoire de préavis et d’une indemnité complémentaire.
12
La Maison du Whisky a contesté la compétence territoriale du tribunal saisi, au motif que les tribunaux français seraient compétents en application de l’article 2 du règlement. Corman-Collins a répliqué à cette objection en invoquant l’article 4 de ladite loi belge.
13
À cet égard, les parties au principal s’opposent au sujet de la qualification à donner à leurs relations commerciales. Corman-Collins soutient qu’il s’agissait d’un contrat de concession, tandis que La Maison du Whisky fait valoir qu’il s’agissait de simples contrats d’achat et de vente, conclus sur la base de commandes hebdomadaires, en fonction des souhaits émis par Corman-Collins.
14
Dans la décision de renvoi, le tribunal de commerce de Verviers constate, de façon expresse, que Corman-Collins et La Maison du Whisky «étaient liées par un contrat oral» et que, «en vertu de [...] la loi belge du 27 juillet 1961, la relation juridique entre les parties peut s’analyser comme un contrat de concession de vente, dans la mesure où la demanderesse était autorisée à revendre sur le territoire belge les produits achetés auprès de la défenderesse».
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En revanche, cette juridiction éprouve des doutes quant à la possibilité de fonder sa compétence sur la règle prévue à l’article 4 de la loi belge du 27 juillet 1961. Elle relève que, en vertu de l’article 2 du règlement, qui, selon elle, est applicable aux faits de l’espèce, les juridictions françaises devraient être compétentes, mais qu’il pourrait aussi être fait application de l’article 5, point 1, de ce même règlement. À cet égard, elle s’interroge, au vu de la jurisprudence de la Cour, sur le point de savoir si un contrat de concession de vente doit être qualifié de contrat de vente de marchandises et/ou de contrat de prestation de services, au sens de l’article 5, point 1, sous b), du règlement. Elle ajoute que, si aucune de ces qualifications ne pouvait être retenue pour un tel type de contrat, il conviendrait alors de déterminer quelle est, dans le litige au principal, l’obligation litigieuse servant de base à la demande, au sens de l’article 5, point 1, sous a), du règlement.
16
Compte tenu de ces considérations, le tribunal de commerce de Verviers a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1)
L’article 2 du règlement [...], éventuellement combiné avec l’article 5, paragraphe 1, sous a) ou b), doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une règle de compétence, telle que celle contenue à l’article 4 de la loi belge du 27 juillet 1961, qui prévoit la compétence des juridictions belges, lorsque le concessionnaire est établi sur le territoire belge et lorsque la concession de vente produit tout ou partie de ses effets sur ce même territoire, indépendamment du lieu d’établissement du concédant, lorsque ce dernier est défendeur?
2)
L’article 5, paragraphe 1, sous a), du règlement [...] doit-il être interp