ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)
7 mars 2018 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Compétence judiciaire en matière civile et commerciale – Règlement (CE) no 44/2001 – Article 5, point 1 – Règlement (UE) no 1215/2012 – Article 7, point 1 – Notion de “matière contractuelle” – Contrat de fourniture de services – Vol avec correspondance desservi par différents transporteurs aériens – Notion de “lieu d’exécution” – Règlement (CE) no 261/2004 – Droit des passagers aériens à indemnisation pour le refus d’embarquement et pour le retard important d’un vol – Action en indemnisation dirigée contre le transporteur aérien effectif non domicilié sur le territoire d’un État membre ou avec lequel les passagers n’ont aucun lien contractuel »
Dans les affaires jointes C‑274/16, C‑447/16 et C‑448/16,
ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par l'Amtsgericht Düsseldorf (tribunal de district de Düsseldorf, Allemagne) et par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne), par décisions des 3 mai (C‑274/16) et 14 juin 2016 (C‑447/16 et C‑448/16), parvenues à la Cour les 13 mai et 11 août 2016, dans les procédures
flightright GmbH
contre
Air Nostrum, Líneas Aéreas del Mediterráneo SA (C‑274/16),
Roland Becker
contre
Hainan Airlines Co. Ltd (C‑447/16),
et
Mohamed Barkan,
Souad Asbai,
Assia Barkan,
Zakaria Barkan,
Nousaiba Barkan
contre
Air Nostrum, Líneas Aéreas del Mediterráneo SA (C‑448/16),
LA COUR (troisième chambre),
composée de M. L. Bay Larsen, président de chambre, MM. J. Malenovský, M. Safjan (rapporteur), D. Šváby et M. Vilaras, juges,
avocat général : M. M. Bobek,
greffier : M. R. Schiano, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 6 juillet 2017,
considérant les observations présentées :
–
pour flightright GmbH, par Mes J. A. Blaffert, F. Schaal, A. Seegers, D. Tuac et O. de Felice, Rechtsanwälte,
–
pour M. Becker, par Me C. Hormann, Rechtsanwalt,
–
pour M. Mohamed Barkan, Mme Souad Asbai et leurs enfants mineurs, Assia, Zakaria et Nousaiba Barkan, par Mes J. Kummer et P. Wassermann, Rechtsanwälte,
–
pour Air Nostrum, Líneas Aéreas del Mediterráneo SA, par Mes V. Beck et E. Schott, Rechtsanwälte,
–
pour le gouvernement français, par Mme E. de Moustier, en qualité d’agent,
–
pour le gouvernement portugais, par MM. L. Inez Fernandes et M. Figueiredo ainsi que par Mme M. Cancela Carvalho, en qualité d’agents,
–
pour le gouvernement suisse, par M. M. Schöll, en qualité d’agent,
–
pour la Commission européenne, par M. M. Wilderspin et Mme M. Heller, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 19 octobre 2017,
rend le présent
Arrêt
1
Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de l’article 5, point 1, du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1), et de l’article 7, point 1, du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2012, L 351, p. 1).
2
Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant, d’une part, flightright GmbH, une entreprise établie à Potsdam (Allemagne), ainsi que M. Mohamed Barkan, Mme Souad Asbai et leurs enfants mineurs, Assia, Zakaria et Nousaiba Barkan (ci-après la « famille Barkan ») à Air Nostrum, Líneas Aéreas del Mediterráneo SA (ci-après « Air Nostrum »), un transporteur aérien établi à Valence (Espagne), au sujet du paiement d’une indemnisation au titre d’un retard de vol (affaires C‑274/16 et C‑448/16), et, d’autre part, M. Roland Becker à Hainan Airlines Co. Ltd, un transporteur aérien établi à Haikou (Chine), au sujet du paiement d’une indemnisation au titre d’un refus d’embarquement (affaire C‑447/16).
Le cadre juridique
Le règlement no 44/2001
3
Il ressort du considérant 2 du règlement no 44/2001 que celui-ci vise, dans l’intérêt du bon fonctionnement du marché intérieur, à mettre en œuvre « [d]es dispositions permettant d’unifier les règles de conflit de juridictions en matière civile et commerciale ainsi que de simplifier les formalités en vue de la reconnaissance et de l’exécution rapides et simples des décisions émanant des États membres liés par [ce] règlement. »
4
Les considérants 11 et 12 dudit règlement énoncent :
« (11)
Les règles de compétence doivent présenter un haut degré de prévisibilité et s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur et cette compétence doit toujours être disponible, sauf dans quelques cas bien déterminés où la matière en litige ou l’autonomie des parties justifie un autre critère de rattachement. S’agissant des personnes morales, le domicile doit être défini de façon autonome de manière à accroître la transparence des règles communes et à éviter les conflits de juridictions.
(12)
Le for du domicile du défendeur doit être complété par d'autres fors autorisés en raison du lien étroit entre la juridiction et le litige ou en vue de faciliter une bonne administration de la justice. »
5
Les règles de compétence figurent au chapitre II du même règlement.
6
L’article 2 du règlement no 44/2001, qui appartient à la section 1 du chapitre II de celui-ci, dispose, à son paragraphe 1 :
« Sous réserve des dispositions du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre. »
7
Aux termes de l'article 4, paragraphe 1, du règlement no 44/2001 :
« Si le défendeur n’est pas domicilié sur le territoire d’un État membre, la compétence est, dans chaque État membre, réglée par la loi de cet État membre [...] »
8
L’article 5 de ce règlement, qui appartient à la section 2 du chapitre II de celui-ci, intitulée « Compétences spéciales », prévoit, à son point 1 :
« Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite, dans un autre État membre :
1)
a)
en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l’obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée ;
b)
aux fins de l’application de la présente disposition, et sauf convention contraire, le lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande est :
–
pour la vente de marchandises, le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées,
–
pour la fourniture de services, le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis ;
c)
le point a) s’applique si le point b) ne s’applique pas. »
9
L’article 60, paragraphe 1, dudit règlement dispose :
« Pour l’application du présent règlement, les sociétés et les personnes morales sont domiciliées là où est situé :
a)
leur siège statutaire ;
b)
leur administration centrale, ou
c)
leur principal établissement. »
Le règlement no 1215/2012
10
Le règlement no 1215/2012 a abrogé le règlement no 44/2001. Le libellé de son considérant 4 est quasi identique à celui du considérant 2 du règlement no 44/2001.
11
Les considérants 15 et 16 du règlement no 1215/2012 énoncent :
« (15)
Les règles de compétence devraient présenter un haut degré de prévisibilité et s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur. Cette compétence devrait toujours être disponible, sauf dans quelques cas bien déterminés où la matière en litige ou l’autonomie des parties justifie un autre critère de rattachement. S’agissant des personnes morales, le domicile doit être défini de façon autonome de manière à accroître la transparence des règles communes et à éviter les conflits de compétence.
(16)
Le for du domicile du défendeur doit être complété par d’autres fors autorisés en raison du lien étroit entre la juridiction et le litige ou en vue de faciliter une bonne administration de la justice. L’existence d’un lien étroit devrait garantir la sécurité juridique et éviter la possibilité que le défendeur soit attrait devant une juridiction d’un État membre qu’il ne pouvait pas raisonnablement prévoir. [...] »
12
Sous la section 1 du chapitre II de ce règlement, intitulée « Dispositions générales », l’article 4, paragraphe 1, de celui-ci est libellé dans des termes identiques à ceux de l'article 2, paragraphe 1, du règlement no 44/2001.
13
Sous la section 2 du chapitre II du règlement no 1215/2012, intitulée « Compétences spéciales », l’article 7, point 1, de celui-ci est libellé dans des termes quasi identiques à ceux de l’article 5, point 1, du règlement no 44/2001.
14
Conformément à l’article 66, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012, ce règlement n’est applicable qu’aux actions judiciaires intentées à compter du 10 janvier 2015.
Le règlement (CE) no 261/2004
15
Aux termes des considérants 1, 2, 7 et 8 du règlement (CE) no 261/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 11 février 2004, établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, et abrogeant le règlement (CEE) no 295/91 (JO 2004, L 46, p. 1) :
« (1)
L’action de la Communauté dans le domaine des transports aériens devrait notamment viser à garantir un niveau élevé de protection des passagers. Il convient en outre de tenir pleinement compte des exigences de protection des consommateurs en général.
(2)
Le refus d’embarquement et l’annulation ou le retard important d’un vol entraînent des difficultés et des désagréments sérieux pour les passagers.
[...]
(7)
Afin de garantir l’application effective du présent règlement, les obligations qui en découlent devraient incomber au transporteur aérien effectif qui réalise ou a l’intention de réaliser un vol [...]
(8)
Le présent règlement ne devrait pas limiter le droit du transporteur aérien effectif de demander réparation à toute personne, y compris un tiers, conformément à la législation applicable. »
16
L'article 1er du règlement no 261/2004, intitulé « Objet », dispose, à son paragraphe 1 :
« Le présent règlement reconnaît, dans les conditions qui y sont spécifiées, des droits minimum aux passagers dans les situations suivantes :
a)
en cas de refus d’embarquement contre leur volonté ;
b)
en cas d’annulation de leur vol ;
c)
en cas de vol retardé. »
17
L'article 2 du règlement no 261/2004, intitulé « Définitions », est libellé comme suit :
« Aux fins du présent règlement, on entend par :
[...]
b)
“transporteur aérien effectif”, un transporteur aérien qui réalise ou a l’intention de réaliser un vol dans le cadre d’un contrat conclu avec un passager, ou au nom d'une autre personne, morale ou physique, qui a conclu un contrat avec ce passager ;
[...]
g)
“réservation”, le fait pour un passager d’être en possession d'un billet, ou d'une autre preuve, indiquant que la réservation a été acceptée et enregistrée par le transporteur aérien ou l’organisateur de voyages ;
h)
“destination finale”, la destination figurant sur le billet présenté au comptoir d'enregistrement, ou, dans le cas des vols avec correspondances, la destination du dernier vol ; les vols avec correspondances disponibles comme solution de remplacement ne sont pas pris en compte si l'heure d’arrivée initialement prévue est respectée ;
[...] »
18
L'article 3 du règlement no 261/2004, intitulé « Champ d’application », prévoit :
« 1. Le présent règlement s’applique :
a)
aux passagers au départ d’un aéroport situé sur le territoire d’un État membre soumis aux dispositions du traité ;
[...]
2. Le paragraphe 1 s’applique à condition que les passagers :
a)
disposent d’une réservation confirmée pour le vol concerné [...]
[...]
5. Le présent règlement s’applique à tout transporteur aérien effectif assurant le transport des passagers visés aux paragraphes 1 et 2. Lorsqu’un transporteur aérien effectif qui n’a pas conclu de contrat avec le passager remplit des obligations découlant du présent règlement, il est réputé agir au nom de la personne qui a conclu le contrat avec le passager concerné.
[...] »
19
L'article 4 du règlement no 261/2004, intitulé « Refus d’embarquement », énonce, à son paragraphe 3 :
« S’il refuse des passagers à l’embarquement contre leur volonté, le transporteur aérien effectif indemnise immédiatement ces derniers conformément à l’article 7 [...] »
20
L'article 5 de ce règlement, intitulé « Annulations », dispose, à son paragraphe 1, sous c) :
« En cas d’annulation d’un vol, les passagers concernés :
[...]
c)
ont droit à une indemnisation du transporteur aérien effectif conformément à l'article 7, à moins qu’ils soient informés de l’annulation du vol :
i)
au moins deux semaines avant l’heure de départ prévue, ou
ii)
de deux semaines à sept jours avant l’heure de départ prévue si on leur offre un réacheminement leur permettant de partir au plus tôt deux heures avant l’heure de départ prévue et d’atteindre leur destination finale moins de quatre heures après l’heure d’arrivée prévue, ou
iii)
moins de sept jours avant l’heure de départ prévue si on leur offre un réacheminement leur permettant de partir au plus tôt une heure avant l’heure de départ prévue et d’atteindre leur destination finale moins de deux heures après l’heure prévue d’arrivée. »
21
L'article 7 dudit règlement, intitulé « Droit à indemnisation », énonce, à son paragraphe 1 :
« Lorsqu’il est fait référence au présent article, les passagers reçoivent une indemnisation dont le montant est fixé à :
a)
250 euros pour tous les vols de 1500 kilomètres ou moins ;
b)