DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE ANCEL c. TURQUIE
(Requête no 28514/04)
ARRÊT
STRASBOURG
17 février 2009
FINAL
14/09/2009
Cet arrêt peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Ancel c. Turquie,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Françoise Tulkens, présidente,
Ireneu Cabral Barreto,
Vladimiro Zagrebelsky,
Danutė Jočienė,
Dragoljub Popović,
András Sajó,
Işıl Karakaş, juges,
et de Sally Dollé, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 17 février 2009,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 28514/04) dirigée contre la République de Turquie et dont une ressortissante française, Mme Emmanuelle Ancel (« la requérante »), a saisi la Cour le 25 juin 2004 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. La requérante est représentée par Me M. Sultan, avocate à Strasbourg. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») est représenté par son agent.
3. La requérante allègue en particulier que la décision judiciaire lui octroyant la garde de son enfant n’a pas été exécutée.
4. Le 7 juin 2007, la présidente de la deuxième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 3 de la Convention, il a en outre été décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le fond de l’affaire.
5. Le 7 septembre 2007, le gouvernement français a informé la Cour de ce qu’il n’entendait pas se prévaloir de son droit d’intervenir dans la procédure accordé par l’article 36 § 1 de la Convention.
EN FAIT
6. La requérante est née en 1968 et réside à Colmar (France).
7. Elle vécut entre 1991 et 1995 avec un ressortissant turc, M.Ş. Le couple donna naissance le 1er mars 1994 à une fille, J.A.
L’enfant fut reconnue par M.Ş. en date du 31 mai 1994.
8. Lors d’un voyage en Turquie, la requérante fut amenée à quitter le pays en y laissant sa fille à la famille de M.Ş.
9. Le 6 octobre 1995, le père de l’enfant fut désigné comme tuteur par la décision no 1995/511/1070 du juge de paix de Bakırköy (Bakırköy 2. Sulh Hukuk Mahkemesi).
10. Le 20 mars 1996, à la demande de la requérante, une assignation à comparaître devant le juge aux affaires familiales fut délivrée au domicile du couple. Un procès-verbal de recherche, selon lequel M.Ş. était retourné en Turquie, fut établi par l’huissier.
A. La procédure civile relative à la garde de l’enfant
11. Le 13 février 1997, la requérante, par le biais de son avocate, introduisit un recours devant le tribunal de grande instance de Bakırköy en vue d’obtenir la garde de l’enfant.
12. L’intéressée ne s’étant pas présentée et n’étant pas représentée par son avocate à l’audience du 8 avril 1997, la requête fut rayée du rôle.
13. Le 24 juin 1997, la requérante demanda la réinscription au rôle de la sa requête. La demande fut accueillie et l’audience fut fixée au 18 septembre 1997.
14. La requérante et sa représentante ayant été à nouveau absentes, le tribunal décida de rayer une nouvelle fois l’affaire du rôle.
15. Le 26 septembre 1997, la requérante renouvela sa demande. Celle-ci fut accueillie par le tribunal.
16. A l’issue de l’audience tenue le 23 octobre 1997, le tribunal requit des informations sur la situation du défendeur ainsi que la liste des témoins de la requérante.
17. L’audience du 8 décembre 1997 fut ajournée en raison de l’absence de la requérante.
18. Aux audiences du 20 janvier 1998 et du 16 mars 1998, le tribunal recueillit des dépositions et, faisant suite à une demande de la requérante, sollicita l’obtention du casier judiciaire du défendeur par le biais du consulat de France en Turquie.
19. A l’audience du 11 mai 1998, des témoins furent entendus. Le tribunal demanda au juge de paix de Kadıköy la désignation d’un tuteur pour l’enfant.
20. Le 7 juillet 1998 et le 16 septembre 1998, d’autres témoins furent entendus. Le juge de paix désigna une avocate comme tuteur de l’enfant. A l’audience du 17 septembre 1998, celle-ci requit un délai pour examiner le dossier et agir dans l’intérêt de l’enfant.
21. Le 1er octobre 1998, le tribunal de grande instance de Kadıköy (Kadıköy 4. Asliye Hukuk Mahkemesi) leva la décision de désignation de tutelle du juge de paix et, au vu notamment du casier judiciaire de M.Ş., attribua la garde de l’enfant à la requérante.
22. Le 2 février 1999, cette décision fut confirmée par la Cour de cassation. Le 22 avril 1999, la demande en rectification du défendeur fut rejetée.
B. La procédure relative à l’exécution de la décision civile
23. Le 12 février 2001, la requérante saisit le bureau des exécutions afin que sa fille, qui vivait avec son père, lui soit remise. Plusieurs visites effectuées par des huissiers accompagnés de policiers au domicile de M.Ş. ou à celui de ses parents, restèrent toutefois vaines. Des notifications furent adressées au maire du quartier conformément à la loi sur la notification. L’enfant demeura introuvable.
24. Les actes juridiques effectués à cette période peuvent se résumer comme suit. Le 13 mars 2001, les agents ne trouvèrent personne à l’adresse indiquée par la requérante. Un avertissement fut fixé à la porte et la notification fut adressée au maire du quartier conformément à la loi sur la notification. Une deuxième visite infructueuse eut lieu en compagnie de la requérante le 27 mars 2001.
25. Le bureau des exécutions adressa une lettre à la direction régionale de la caisse de sécurité sociale afin que l’adresse de l’ex-compagnon de la requérante soit recherchée par le biais de ses cotisations sociales. La réponse reçue le 19 juin 2001 indiquait que l’intéressé n’avait cotisé que jusqu’au 30 novembre 1998. La direction donna l’adresse du dernier lieu de travail de l’intéressé.
26. Le 7 juin et le 7 décembre 2001, le bureau s’adressa à la direction générale de l’éducation à Istanbul afin de déterminer dans quelle école l’enfant avait pu être inscrite. Le 22 mars 2002, la direction générale informa le bureau que le nom de J.Ş. ne figurait pas dans ses registres.
27. Le 10 juillet 2001, le bureau demanda également à la direction de la sûreté d’Istanbul d’effectuer des recherches pour retrouver M.Ş.
28. Le 23 mars 2003, la requérante demanda la recherche de l’enfant dans les écoles du département d’Ordu, d’où était originaire son ex-compagnon. Des lettres, adressées à différentes administrations locales, ne permirent d’obtenir que des réponses négatives.
29. Le 10 janvier 2004, le bureau des exécutions effectua une nouvelle visite, en compagnie de la requérante et d’une assistante sociale, à l’adresse des parents de M.Ş., lesquels affirmèrent ne pas connaître l’endroit où se trouvaient l’enfant et son père.
30. Une nouvelle demande, adressée le 12 mai 2004 par le bureau à la direction générale de l’éducation à Istanbul, reçut également une réponse négative.
31. Le 1er novembre 2005, la requérante informa le tribunal des exécutions de Kadıköy qu’une demande de son ancien compagnon visant au changement de son prénom avait été admise par une décision du tribunal de Mersin.
32. Des visites furent encore effectuées le 1er mai 2004 et le 11 juin 2005 aux adresses indiquées par la requérante, en vain. A cette dernière date, les huissiers décidèrent d’effectuer également une visite au domicile de la tante de l’enfant, celle-ci étant arrivée sur les lieux et étant intervenue dans l’affaire.
33. Avant chacune des visites, différentes autorités avaient échangé des lettres afin d’assurer la présence sur place d’un sociologue ou d’un psychologue.
34. A la suite d’une correspondance entre les ministères de la Justice de la France et de la Turquie, le ministère turc de l’Education lança lui aussi un avis de recherche de l’enfant, à partir des noms de J.A. et B.Ş., auprès des écoles publiques et privées.
C. La poursuite pénale contre M.Ş.
35. En 2006, la requérante porta plainte contre son ancien compagnon et le père de celui-ci. Le procureur de la République de Kadıköy introduisit une action devant la cour d’assises en vertu de l’article 234 du code pénal sanctionnant d’une peine de réclusion de trois mois à deux ans le parent qui enlève ou retient un enfant alors qu’il est déchu de sa garde.
36. Le 10 octobre 2006, le juge des exécutions de Kadıköy joignit cette procédure à l’enquête menée par lui-même depuis 2005. Plusieurs audiences furent tenues, différentes informations furent requises auprès de la direction de l’état civil, de la police et des tribunaux de Mersin.
37. Dans l’intervalle, la requérante informa le parquet que les autorités françaises avaient lancé un mandat d’arrêt international contre M.Ş.
D. Informations complémentaires : les procédures devant les autorités françaises
38. En mars 2006, M.Ş. fut arrêté au Maroc, d’où il fut extradé vers la France. Devant le tribunal correctionnel de Colmar, il déclara que sa