AFFAIRE BROSSET-TRIBOULET ET AUTRES c. FRANCE
Karar Dilini Çevir:

 

 

GRANDE CHAMBRE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

AFFAIRE BROSSET-TRIBOULET ET AUTRES c. FRANCE

 

(Requête no 34078/02)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ARRÊT

 

 

 

STRASBOURG

 

29 mars 2010

 

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

En l'affaire Brosset-Triboulet et autres c. France,

La Cour européenne des droits de l'homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

Nicolas Bratza, président,
Jean-Paul Costa,
Peer Lorenzen,
Françoise Tulkens,
Josep Casadevall,
Karel Jungwiert,
Nina Vajić,
Rait Maruste,
Anatoly Kovler,
Ljiljana Mijović,

Renate Jaeger,
David Thór Björgvinsson,
Ineta Ziemele,
Mark Villiger,
Isabelle Berro-Lefèvre,
George Nicolaou,
Zdravka Kalaydjieva, juges,
et de Michael O'Boyle, greffier adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 11 février 2009 et 3 février 2010,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 34078/02) dirigée contre la République française et dont deux ressortissantes de cet Etat, Mmes Ijjo Brosset-Triboulet et Eliane Brosset-Pospisil (« les requérantes »), ont saisi la Cour le 4 septembre 2002 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

Le 26 novembre 2008, le greffier a été informé du décès de la requérante Eliane Brosset-Pospisil le 14 mai 2008, puis du souhait de ses filles, Mme Sophie Epiard et Mlle Elisabeth Pospisil, de poursuivre la procédure en ses lieu et place.

2. Les requérantes sont représentées par Me P. Blondel, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3. Les requérantes alléguaient en particulier que le refus des autorités françaises de les autoriser à continuer d'occuper une parcelle du domaine public sur laquelle est édifiée une maison appartenant à leur famille depuis 1945 et l'injonction qui leur est faite de la détruire portent atteinte à leur droit de propriété garanti par l'article 1 du Protocole no 1 et au respect de leur domicile au sens de l'article 8 de la Convention.

4. La requête a été attribuée à la deuxième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Le 14 juin 2005, la requête a été déclarée en partie irrecevable par une chambre de ladite section composée des juges Ireneu Cabral Barreto, Jean-Paul Costa, Karel Jungwiert, Volodymyr Butkevych, Mindia Ugrekhelidze, Antonella Mularoni, Elisabet Fura‑Sandström, ainsi que de Sally Dollé, greffière de section. Le 29 avril 2008, à la suite d'un changement de section, la requête a été déclarée recevable sous l'angle des articles 1 du Protocole no 1 et 8 de la Convention par une chambre de la cinquième section, composée des juges Peer Lorenzen, Snejana Botoucharova, Jean‑Paul Costa, Karel Jungwiert, Rait Maruste, Mark Villiger, Isabelle Berro-Lefèvre, ainsi que de Claudia Westerdiek, greffière de section. Le 25 septembre 2008, la chambre de ladite section, composée des juges Peer Lorenzen, Rait Maruste, Jean‑Paul Costa, Karel Jungwiert, Renate Jaeger, Mark Villiger, Isabelle Berro‑Lefèvre, ainsi que de Claudia Westerdieck, greffière de section, s'est dessaisie au profit de la Grande Chambre, aucune des parties ne s'y étant opposée (articles 30 de la Convention et 72 du règlement).

5. La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux articles 27 §§ 2 et 3 de la Convention et 24 du règlement.

6. Tant les requérantes que le Gouvernement ont déposé des observations écrites.

7. Une audience s'est déroulée en public au Palais des droits de l'homme, à Strasbourg, le 11 février 2009 (article 59 § 3 du règlement). Ont comparu :

 

- pour le Gouvernement

MmeE. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères,               agent,
MmeA.-F. Tissier, sous-directrice des droits de l'homme à la Direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères,

MmeM.-G. Merloz, rédactrice à la sous-direction des droits de l'homme de la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères,             
MmeC. Stoven, chargée d'études pour le développement économique et touristique des plages et chargée de contentieux du domaine public maritime naturel du ministère de l'Ecologie, de l'Energie, du Développement durable et de l'Aménagement durable,

MmeD. Medjaed, auditrice de justice en stage à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères,

M.P. Bourreau, directeur départemental, bureau chargé des missions domaniales de la direction générale des finances publiques du ministère du Budget,

conseillers ;

 

- pour les requérantes
Me P. Blondel, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation,             

conseil.

 

La Cour a entendu en leurs déclarations Me Blondel et Mme Belliard.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

8. Les requérantes sont nées respectivement en 1935 et 1938 et résident à Sainte-Croix-Grand-Tonne et Caen.

A. La maison litigieuse

9. Le 26 mai 1909, A. acquit de R., par contrat passé devant notaire, l'île d'Irus située dans le golfe du Morbihan.

10. Par un arrêté du 25 septembre 1909, le préfet du Morbihan autorisa A. à édifier un terre-plein sur une parcelle du domaine public maritime située sur le finage de la commune d'Arradon afin d'y établir une rampe d'accès de quatre mètres sur quatre mètres permettant d'embarquer, en particulier vers l'île d'Irus.

11. Par un arrêté du 25 août 1911, le préfet du Morbihan autorisa A. à procéder à l'agrandissement dudit terre-plein. Cet arrêté se lit, dans ses dispositions pertinentes, comme suit :

« (...) Au point de vue des convenances du service des Ponts et Chaussées le terre‑plein, avec l'agrandissement demandé, ne peut nuire en rien à la navigation, à la condition d'être arasé au dessus du niveau des pleines mers de vives eaux, ni à la circulation sur le rivage maritime, à la condition d'être accessible en tout temps au public ;

Au point de vue de la redevance à imposer (...) le permissionnaire paiera une redevance annuelle de 30 francs 40. (...)

En cas de révocation, le permissionnaire devra s'il en est requis, faire rétablir les lieux dans leur état primitif et s'il ne remplissait pas cette obligation, il y serait pourvu par les soins de l'administration, d'office et à ses frais. Le montant des avances faites serait remboursé par le pensionnaire au moyen de rôles rendus exécutoires par le Préfet (...) »

12. Le 2 mai 1921, un acte de vente, passé devant Me Maigre, fut publié au bureau des hypothèques de Vannes. Par cet acte, A. transmit la propriété de l'île d'Irus à Monsieur S.

La transcription de cet acte par le bureau des hypothèques, en ce qu'elle concerne notamment le terre-plein litigieux, se lit comme suit :

« (...) Entrée en jouissance – L'acquéreur sera propriétaire de l'île d'Irus présentement vendue à compter de ce jour et au moyen des présentes et il en aura la jouissance à compter du premier mars mil neuf cent vingt et un. (...)

Monsieur [A.] déclare que par arrêté préfectoral du Morbihan, en date du vingt-cinq septembre mil neuf cent neuf et d'un autre en date du vint-cinq août mil neuf cent onze, il lui a été concédé à l'endroit dit Pen-er-men une étendue de terrain d'une superficie de trois cent trente trois-mètres carrés quatre vingt dix huit décimètres carrés, portée au cadastre de la commune d'Arradon, sous le numéro 137 de la section, pour y établir un terre-plein avec une rampe d'acier de quatre mètres sur quatre mètres. Que cette concession lui a été faite sous la condition expresse que ce terre-plein soit accessible au public et moyennant une redevance annuelle de trente francs et quarante centimes révisable tous les cinq ans. Et par suite Monsieur [A.] met et subroge l'acquéreur dans tous ses droits relatifs à cette concession avec toutes les constructions que le vendeur y a édifiées et déclare qu'il n'existe aucune autre servitude active ou passive (...) »

13. Par arrêté du 3 février 1938, le préfet accorda à la veuve de S., tante de la mère des requérantes, une autorisation d'occupation du terre-plein pour cinq ans avec cette précision que le « terre-plein aura une superficie totale de 333 m2 98 mais que la condition d'accessibilité au public revient à réduire la superficie imposable à 303 m2 98 (...) il sera réservé sur toute sa longueur une bande (...) pour la circulation publique ».

14. La mère des requérantes acquit de sa tante, par donation entre vifs rédigée devant notaire et publiée au bureau des hypothèques de Vannes le 12 novembre 1945, une maison à usage d'habitation édifiée sur le terre‑plein susmentionné :

« A comparu

Madame Mangin veuve de Monsieur S, laquelle a (...) fait donation entre vifs (...)

Madame Mangin, veuve de M. le Général Brosset, sa nièce

de la propriété lui appartenant sur la commune d'Arradon et appelée l'île d'Irus.

Désignation : l'île d'Irus présentement donnée comprend la totalité de ladite île comprenant la totalité des immeubles bâtis et non bâtis qui la composent cadastrés pour une contenance de douze hectares (...)

Conditions : La donation a lieu sous les conditions suivantes (...) La donataire prendra l'immeuble dans l'état où il est actuellement sans pouvoir exercer aucun recours contre la donatrice pour quelque cause que ce soit et elle en jouira à compter de ce jour, fixé pour l'entrée en jouissance. (...) Elle paiera les impôts et les primes d'assurance contre l'incendie à compter de ce jour.

Etat civil – autorisation (...) Monsieur le préfet du Morbihan a autorisé le vingt et un septembre 1945 ladite donation. (...) »

15. Par une série d'arrêtés, notamment émis les 6 juin 1951, 29 mars 1967, 21 décembre 1977, 27 août 1984 et 10 juillet 1986, le préfet du Morbihan autorisa l'occupation du terre-plein litigieux moyennant paiement d'une redevance. Celui de 1967 parle du renouvellement de l'arrêté de 1951 autorisant à occuper un terre-plein ; ceux de 1984 et 1986 mentionnent le terre-plein avec habitation. L'arrêté préfectoral du 10 juillet 1986 n'autorisait pas l'occupation du domaine public au-delà du 31 décembre 1990. Les arrêtés précisaient « que le terre-plein ne pourra nuire en rien à la navigation à condition d'être arasé au-dessus du niveau des plus hautes mers, ni à la circulation sur le rivage maritime à condition d'être accessible au public en tout temps ». Il était précisé sur les formulaires d'autorisation que, conformément aux articles A 26 et 27 du code du domaine l'Etat, « l'administration se réserve la faculté de modifier ou de retirer l'autorisation si elle le jugeait utile, pour quelque cause que ce soit, sans que le permissionnaire puisse réclamer, pour ce fait, aucune indemnité ou dédommagement. Il devra, s'il en est requis, faire rétablir les lieux dans leur état primitif, par démolition des installations édifiées sur le domaine public, y compris celles existantes à la date de signature de l'arrêté. S'il ne remplissait pas cette obligation, il y serait pourvu, par l'administration, d'office à ses frais ».

16. Entre-temps, en 1966, la direction générale des Impôts-Domaine avait écrit au directeur des domaines à Vannes ceci :

« Vous m'avez soumis pour observations et avis une demande de renouvellement d'occupation temporaire du domaine public maritime effectuée par [la mère des requérantes]. Cette demande intéresse un terre-plein d'une superficie de 333,98 m2, réduite à une surface imposable de 304 m2, sur lequel a été construite une maison d'habitation. La redevance annuelle proposée par le service des Ponts et chaussées est de 100 francs. L'affaire donne lieu aux observations suivantes : l'article R 56 du code du domaine de l'Etat stipule que toute redevance au profit du Trésor doit tenir compte des avantages de toute nature procurée au concessionnaire. Dans le cas précité, il est hors de doute que la concession de terre-plein en question procure à la pétitionnaire un avantage non négligeable : elle lui permet notamment l'économie du capital à investir pour pouvoir disposer d'un terrain à bâtir dans la zone considérée (...) Dans ces conditions, il semble absolument normal de retenir une somme correspondante au montant de l'intérêt calculé au taux très réduit de 5 % sur la valeur du terrain concédé. (...) »

B. Procédures administratives

17. Le 15 mars 1993, la mère des requérantes sollicita le renouvellement de la convention d'occupation auprès du préfet du Morbihan.

18. En réponse, le 6 septembre 1993, le préfet lui rappela que l'autorisation accordée en 1986 d'occuper la maison de 1986 avait expiré le 31 décembre 1990. Il fit savoir que l'entrée en vigueur de la loi no 86-2 du 3 janvier 1986 relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral (ci-après loi littoral), et en particulier son article 25, ne lui permettait plus de renouveler l'autorisation dans les conditions antérieures, celui-ci précisant que les utilisations du DPM doivent tenir compte de la vocation des zones concernées, ce qui exclut toute utilisation privative notamment pour des maisons d'habitations. Toutefois, et afin de tenir compte de l'ancienneté de l'occupation et du caractère affectif accordé par les requérantes et leur mère à la maison objet du litige, le préfet indiqua qu'il était prêt à étudier à titre exceptionnel une autorisation limitée comportant notamment une autorisation strictement personnelle d'utilisation interdisant toute cession ou transmission du terrain et de la maison, une interdiction de réaliser des travaux exceptés d'entretien, et une possibilité pour l'Etat, à l'expiration de l'autorisation, de faire remettre les lieux dans leur état initial ou de réutiliser les installations. Il conclut en demandant de préciser rapidement si ces conditions lui convenaient afin de « régulariser une situation illégale depuis deux ans et demi ».

19. La mère des requérantes n'accepta pas cette proposition. Elle sollicita en retour l'octroi d'une concession d'endigage valant transfert de propriété sur le fondement de l'article L. 64 du code du domaine de l'Etat (paragraphe 44 ci-dessous).

20. Le 9 mars 1994, le préfet du Morbihan écarta la demande de la mère des requérantes tout en maintenant sa proposition initiale de convention d'occupation sous conditions :

« Vous m'avez demandé de bien vouloir étudier la possibilité d'engager une procédure de déclassement du terre-plein, dépendance du domaine public maritime que vous occupez à Pen-Er-Men en vue, me semble-t-il, d'une acquisition de ce terre‑plein bâti (...)

J'ai le regret de vous faire connaître que la concession classique emportant attribution au concessionnaire de la propriété pleine et indéfinie des terrains exondés dans le cadre de l'article L. 64 du code du domaine de l'Etat a été abandonnée par une instruction ministérielle depuis quelques années, en l'absence d'intérêt général démontré. Votre demande ne va pas dans ce sens et je maintiens les conditions fixées dans ma lettre du 6 septembre pour régulariser votre situation.

Cette régularisation pourrait se faire dans le cadre de la convention dont je vous transmets un projet. Je vous signale que la redevance domaniale sera revue à la hausse pour tenir compte de la situation particulière de l'occupation du Domaine. »

21. Le 5 mai 1994, la mère des requérantes saisit le tribunal administratif de Rennes en vue d'obtenir l'annulation de la décision du préfet du 9 mars 1994 refusant de lui accorder la concession d'endigage sollicitée.

22. Le 4 juillet 1995, le préfet du Morbihan informa la mère des requérantes qu'il envisageait de dresser un procès-verbal de contravention de grande voirie afin de faire constater l'occupation sans titre du domaine public. Ce procès-verbal fut dressé le 6 septembre 1995 et notifié à la mère des requérantes le 16 novembre 1995. Le 20 décembre 1995, le préfet, en conséquence du constat d'occupation sans titre du domaine public ainsi établi et conformément à l'article L. 28 du code du domaine de l'Etat (paragraphe 41 ci-dessous), saisit le tribunal administratif de Rennes d'une requête tendant à la condamnation de la mère des requérantes, d'une part, au paiement d'une amende, d'autre part, à la remise des lieux en leur état initial, à savoir l'état antérieur à l'édification de la maison.

23. Par deux jugements distincts rendus le 20 mars 1997, le tribunal administratif de Rennes statua sur le recours introduit le 5 mai 1994 par la mère des requérantes (instance no 941509) et sur la requête introduite par le préfet du Morbihan le 20 décembre 1995 (instance no 953516).

24. Sur la demande de la mère des requérantes tendant à l'annulation de la décision de refus du préfet de lui accorder une concession d'endigage, le tribunal considéra ce qui suit :

« Considérant qu'aux termes de l'article L. 64 du code du domaine de l'Etat : « L'Etat peut concéder, aux conditions qu'il aura réglées ... le droit d'endigage » ; que si l'article 27 de la loi du 3 janvier 1986 susvisée a réduit le champ d'application de l'article précité, il précise toutefois que « les exondements antérieurs à la présente loi demeurent régis par la législation antérieure » ; qu'en conséquence, sont seuls applicables en l'espèce l'article L. 64 du code précité et la loi du 28 novembre 1963 relative au Domaine Public Maritime disposant « que sont incorporés au Domaine Public Maritime ... sous réserve de dispositions contraires d'actes de concession les terrains qui seront artificiellement soustrait à l'action du flot » ; que si le préfet pour opposer un refus à la demande dont il était saisi s'est appuyé sur les principes directeurs et orientations fixées par la circulaire interministérielle du 3 janvier 1973 définissant la politique à suivre pour l'utilisation du domaine public maritime, il ne s'est pas mépris, en examinant la situation particulière du projet de concession formulé par la requérante, sur la portée de ladite circulaire qui n'abroge, ni ne modifie les dispositions législatives susmentionnées mais se borne à en faire application ;

Considérant par ailleurs que la circulaire précitée, donnant pour directive aux autorités chargées de statuer sur les concessions d'endigage de ne pas aliéner la propriété des parcelles créées et de n'y accepter que l'implantation d'équipements à usage collectif, à l'exclusion de l'habitat privatif, est intervenue dans une matière où les autorités compétentes disposent d'un pouvoir discrétionnaire ; qu'il n'apparaît pas que le préfet en faisant référence aux principes posés par la circulaire, ait procédé à une inexacte interprétation des dispositions législatives, ni qu'il n'ait pas examiné la spécificité du projet de la requérante, avant d'estimer qu'aucune particularité n'était de nature à justifier qu'il fut dérogé aux directives sus-analysées ; »

25. Dans le cadre de l'instance no 953516, le tribunal administratif de Rennes accueillit la requête déposée par le préfet le 20 décembre 1995, aux motifs suivants :

« (...) Sur la domanialité publique

« (...) Considérant que la contravention de grande voirie vise à préserver l'intégrité du domaine public ; qu'il résulte du jugement rendu ce jour par le tribunal dans l'instance no 941509 que la parcelle sur laquelle est édifiée la maison d'habitation de Mme Brosset fait bien partie dudit domaine ;

Considérant que le juge administratif subordonne la détermination de la consistance du domaine public artificiel à l'interprétation judiciaire des titres privés qui seraient produits lorsque leur examen soulève une difficulté sérieuse ; qu'en l'espèce le terre‑plein et la maison ne sont pas un bien du domaine public eu égard à l'utilisation exclusivement privative qui en est faite et à leur non-appartenance à une collectivité publique ; que dès lors en l'absence de contestation sérieuse de l'appropriation privée du bien litigieux , il n'y a pas lieu de surseoir à statuer ; (...)

Sur l'existence d'une contravention de grande voirie

Considérant que si la maison d'habitation occupée par Mme Brosset lui appartient en pleine propriété et si elle soutient ne pas être, dès lors, une occupante irrégulière du domaine public, il est constant toutefois que la construction d'un ouvrage de caractère permanent ne pouvait être régulièrement entreprise sur le domaine public qu'en vertu soit d'une concession d'endigage, soit d'un autre type de concession ; qu'il résulte de l'instruction et notamment de l'absence de tels actes de concession, que la maison d'habitation dont il s'agit a été irrégulièrement édifiée sur le Domaine Public Maritime ; qu'en conséquence, le préfet est fondé à demander la condamnation de Mme Brosset à une amende et à la mise du rivage de la mer dans son état antérieur à l'édification dudit ouvrage (...) et ce dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent jugement (...) ; qu'à l'expiration de ce délai, Mme Brosset versera une astreinte d'un montant de 100 francs par jour de retard en cas d'inexécution du présent jugement et l'administration sera autorisée à le faire aux frais, risques et périls de la contrevenante. »

26. Le 11 juillet 1997, les deux requérantes, agissant dès lors en tant qu'ayants droit de leur mère suite à son décès, interjetèrent appel du jugement rendu dans l'instance no 953516. Le 18 juillet 1997, elles interjetèrent appel du jugement rendu dans l'instance no 941509.

27. Par un arrêt du 8 décembre 1999, la cour administrative d'appel de Nantes décida de joindre les deux procédures en raison de leur connexité et de rejeter les appels formés par les requérantes.

Quant à la requête relative à la contravention de grande voirie, la cour constata tout d'abord le décès de Mme Brosset en cours d'instance et, en conséquence, décida de l'extinction de l'action publique. Concernant l'action domaniale, la cour d'appel motiva sa décision comme suit :

« Considérant, en premier lieu, qu'il n'est pas contesté que la parcelle où se trouve le terre-plein sur lequel est édifiée la maison (...) était entièrement recouverte par le flot, en dehors de toutes circonstances météorologiques exceptionnelles, avant l'exondement effectué pour réaliser ce même terre-plein ; qu'il n'est pas établi, ni même d'ailleurs allégué par les requérantes, que la surface non exondée de cette parcelle aurait jamais été soustraite depuis lors à l'action du flot ; qu'il résulte, par ailleurs, de l'instruction, que le terre-plein est le produit d'exondements réalisés antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 28 novembre 1963 susvisée et qui, n'ayant pas été réalisés dans les formes prévues pour les concessions à charge d'endigage, n'ont pu, nonobstant l'intervention des diverses autorisations d'occupation temporaires accordées par l'administration, avoir eu pour effet de faire sortir du domaine public maritime cette partie de la parcelle ainsi soustraite à l'action du flot ; qu'en raison des principes d'inaliénabilité et d'imprescriptibilité du domaine public, les circonstances invoquées par Mme Triboulet et Mme Brosset-Pospisil que la maison a été régulièrement édifiée et que son occupation a été acceptée par l'administration pendant une très longue durée et même tolérée après l'expiration de la dernière autorisation d'occupation sont sans influence sur l'appartenance au domaine public maritime ;

Considérant, en deuxième lieu, que, comme il a été dit, la dernière autorisation d'occupation temporaire du Domaine Public Maritime (...) est venue à expiration le 31 décembre 1990 ; qu'en l'absence, depuis cette date, d'un titre d'occupation régulier, le préfet du Morbihan est fondé à demander qu'il soit imparti aux occupants, si ce n'est déjà fait, de remettre les lieux dans leur état antérieur à l'édification de la maison sur le domaine public maritime ; que les requérantes ne peuvent utilement se prévaloir, pour contester cette obligation, de l'ancienneté de l'occupation des lieux, ni de ce que l'administration a toléré la poursuite de cette occupation après le 31 décembre 1990 et a proposé à Mme Brosset, pour régulariser la situation, des projets de convention d'occupation, auxquels elle n'a d'ailleurs pas donné suite ; (...)

Considérant, en cinquième lieu, que [l'obligation de procéder à la remise en état des lieux] ne constitue pas une mesure prohibée par la stipulation de l'article 1 du Protocole no 1 en vertu de laquelle nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique. »

Quant au refus de concession d'endigage, la cour d'appel s'exprima comme suit :

« (...) Considérant en deuxième lieu, que, l'article 27 de la loi du 3 janvier 1986 susvisée précisant que les exondements antérieurs à cette loi demeurent régis par la législation antérieure, sont applicables à la présente espèce les dispositions codifiées sous l'article L. 64 du code du domaine de l'Etat aux termes desquelles « l'Etat peut concéder, aux conditions qu'il aura réglées ... le droit d'endigage ... » ;

Considérant que, pour refuser d'accorder à Mme Brosset la concession d'endigage sollicitée, le préfet du Morbihan s'est fondé sur les principes directeurs définis par la circulaire du 3 janvier 1973 (...) relative à l'utilisation du domaine public en dehors des ports de commerce et de pêche, et a relevé qu'aucun motif d'intérêt général ne justifiait qu'il soit fait droit à la demande de l'intéressée ;

Considérant qu'en donnant pour directive aux autorités chargées de statuer sur les demandes de concessions d'endigage qu'aucune parcelle dépendant, à un titre quelconque, du domaine public ne devra être déclassée pour faire l'objet d'une cession en pleine propriété, les ministres signataires de la circulaire du 3 janvier 1973 n'ont pas édicté de règles de droit modifiant ou complétant les dispositions précitées de l'article L. 64 du code du domaine de l'Etat dont ils se sont bornés à faire application : qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, la parcelle en cause appartient au domaine public de l'Etat ; qu'il ne ressort des pièces du dossier ni que le préfet, avant de prendre sa décision, n'ait pas examiné les circonstances particulières qui motivaient le projet présenté par Mme Brosset, ni qu'il ait commis une erreur manifeste d'appréciation en estimant qu'aucune particularité de ce projet ou aucune considération d'intérêt général ne justifiait qu'il fût dérogé aux directives susmentionnées ; »

28. Le 21 février 2000, les requérantes se pourvurent en cassation contre l'arrêt du 8 décembre 1999. Elles firent valoir qu'en l'absence de preuve qu'elles ne pouvaient logiquement détenir, ayant acquis par donation une maison déjà construite sur une dalle antérieurement édifiée, elles avaient démontré que la construction régulière d'une maison d'habitation ne pouvait avoir été entreprise sur une parcelle supposée appartenir au domaine public, qu'à la seule condition de l'existence d'une autorisation d'occupation temporaire relative à un usage privatif de cette parcelle et n'excluant pas expressément l'éventualité d'une telle construction. Elles en déduisirent que la construction de la maison, connue et acceptée de l'administration, avait entraîné la pleine propriété de celle-ci par les occupants de la parcelle. Dans le cas contraire, c'était au préfet d'apporter la preuve de l'irrégularité de l'exondement auquel il fut procédé au début du siècle. Les requérantes invoquèrent encore la disproportion de la sanction et la nécessité, en l'absence d'un motif d'intérêt général, du versement d'une indemnisation pour le dommage anormalement créé.

29. Le commissaire du Gouvernement, dans ses conclusions, communes à une affaire similaire, fit valoir que la valeur actualisée du prix d'acquisition de la maison s'élevait à 655 530 euros (EUR). Il poursuivit en ces termes :

« (...) Les intéressés n'ont pu acquérir aucun droit de propriété sur leurs maisons et les cessions successives n'aboutissent pas davantage à la constitution de droits réels sur le domaine public. Compte tenu de la situation précaire de ces immeubles, leur valeur vénale ne pouvait être établie sans prise en considération de cette circonstance primordiale et il faut espérer que les requérants avaient été dûment informés de ces éléments lorsque les actes d'acquisition ont été rédigés (...). Finalement et même si les solutions auxquelles on aboutit ne suscitent de notre part qu'un enthousiasme très relatif, nous ne pouvons que conclure au rejet des conclusions des requérants. (...) Ceux-ci ont sans doute commis des maladresses en refusant l'offre réitérée du préfet. Même si elle ne les enchantait guère, elle était à tout le moins préférable à une démolition pure et simple qui devra être opérée à leurs frais par décision de justice. Tout espoir n'est peut-être pas perdu de renouer les fils du dialogue avec l'administration afin de trouver une solution peut-être moins expéditive.

L'Etat n'est peut-être pas à l'abri le cas échéant d'une action en responsabilité pour avoir laissé espérer pendant près d'un siècle que les occupants du domaine public ne seraient pas brutalement contraints de démolir leurs biens. Il faut bien voir toutefois que les chances de réussite d'une telle action sont assez minces en raison de la protection légitime dont bénéficie le domaine public. En toute hypothèse, il est évident que si la responsabilité de la personne publique devait être retenue, il s'agirait d'une responsabilité que les contrevenants partageraient largement avec l'administration. »

30. Par un arrêt rendu le 6 mars 2002, le Conseil d'Etat rejeta le pourvoi des requérantes. Il jugea qu'elles ne pouvaient se prévaloir d'aucun droit réel sur la parcelle litigieuse et sur les immeubles qui y avaient été édifiés et que l'obligation de remise en état de la parcelle dans l'état antérieur à l'édification de la maison, sans indemnisation préalable, n'était donc pas une mesure prohibée par l'article 1 du Protocole no 1.

31. Le 6 août 2002, le directeur général de la Direction générale de la culture, des affaires juridiques et des politiques départementales du Morbihan écrivit ceci aux requérantes :

« J'ai eu quelques éléments d'information en provenance de la direction régionale des affaires culturelles [DRAC] de Bretagne. Il en ressort tout d'abord que votre maison n'a pas été spécifiquement répertoriée par le service régional de l'inventaire lorsque celui-ci a inventorié le canton de Vannes-Ouest au début des années 1990. Cependant, l'ensemble de l'anse de Pen er Men est bien répertorié, comme en témoigne d'ailleurs une photographie, disponible au service de l'inventaire où apparaît clairement votre maison. D'autre part, ce service m'a fait savoir, verbalement, que si l'inventaire du canton de Vannes-Ouest était effectué aujourd'hui, votre maison, ainsi que d'autres dans la même situation, serait certainement inventoriée.

Quoi qu'il en soit, ce même service pourrait efficacement intervenir, notamment auprès de la DDE [Direction départementale de l'équipement], dans un but de protection du patrimoine si une menace de destruction venait à être à nouveau brandie.

Pour ce qui concerne enfin une éventuelle mesure de classement ou d'inscription à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques de votre maison, il ne faut guère y compter, d'une part parce que l'Etat ne vous considère pas comme propriétaire, d'autre part parce qu'il croule sous les demandes, notamment dans le Morbihan. Dans l'immédiat, compte tenu des bonnes dispositions de la DRAC vis‑à‑vis de votre problème, je ne suis pas trop inquiet. »

32. En 2008, la taxe d'habitation de la maison s'élevait à 584 EUR et la taxe foncière à 708 EUR. Les requérantes produisent une évaluation de leur maison faite par une agence immobilière en novembre 2008 : « une maison de 1905 à usage d'habitation construite en pierres (...). Compte tenu de la situation géographique de cette propriété, de l'état de la construction, de la surface du plancher, de son implantation sur le DPM, du marché immobilier local, et sous réserve que les propriétaires puissent justifier d'un contrat de concession sur le DPM, cette propriété a une valeur de l'ordre de 800 000 à 1 000 000 d'euros ».

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. Le domaine public maritime (DPM) et sa gestion

1. La garde du domaine public maritime

33. L'idée que le rivage de la mer appartient aux « choses communes », c'est-à-dire n'est pas susceptible d'appropriation privée et est géré par la puissance publique, vient de l'époque romaine (Institutes de Justinien, Livre II, Titre I De rerum divisione), où déjà une autorisation était nécessaire pour construire sur le bord de la mer. C'est l'ordonnance de la marine d'août 1681 de Colbert qui, codifiant ce principe, constituait encore récemment le fondement de la gestion par l'Etat du DPM. Après avoir défini ce que comprenait le « bord et rivage de la mer », elle précisait également le régime applicable : « Faisons défense à toutes personnes de bâtir sur les rivages de la mer, d'y planter aucuns pieux, ni de faire aucun ouvrage, qui puisse porter préjudice à la navigation à peine de démolition des ouvrages, de confiscation des matériaux et d'amendes arbitraires ». A la Révolution prend corps l'idée que le DPM est géré par les gouvernants dans l'intérêt de la nation, et non comme un simple élément de patrimoine autrefois de la Couronne, aujourd'hui de l'Etat. Cette conception guide encore aujourd'hui largement la gestion du DPM, car au-delà même de la propriété de l'Etat sur ce domaine, sa conservation et sa gestion relèvent plus de la mise en œuvre d'une police de son utilisation que de l'exercice de droits « civils » du propriétaire. Le préfet tient un rôle principal dans la garde du DPM, il est l'autorité qui en général en réglemente localement l'utilisation, permet les occupations privatives ou non et assure la défense de son intégrité en poursuivant les auteurs des atteintes à ce domaine (source : , consultée le 3 février 2010).

L'ordonnance de la marine de Colbert a été définitivement abrogée en 2006. Depuis le 1er juillet 2006, le code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP) a remplacé le code du domaine de l'Etat (datant de 1957). Il restructure le droit domanial de l'Etat et des personnes publiques et synthétise la réglementation du DPM en y incluant les dispositions relatives à l'environnement notamment.

2. Consistance du domaine public maritime naturel

34. Le DPM, déterminé à partir de phénomènes naturels, est compris entre la limite haute du rivage, c'est-à-dire au point jusqu'où les plus hautes mers peuvent s'étendre en l'absence de perturbations météorologiques exceptionnelles (CE Ass, Kreitmannn, 12 octobre 1973) et la limite de la mer territoriale, côté large. Selon l'article L. 2111-4 du CGPPP,

« Le Domaine Public Maritime naturel de l'Etat comprend :

1o Le sol et le sous-sol de la mer entre la limite extérieure de la mer territoriale et, côté terre, le rivage de la mer.

Le rivage de la mer est constitué par tout ce qu'elle couvre et découvre jusqu'où les plus hautes mers peuvent s'étendre en l'absence de perturbations météorologiques exceptionnelles ;

2o Le sol et le sous-sol des étangs salés en communication directe, naturelle et permanente avec la mer ;

3o Les lais et relais de la mer :

a) Qui faisaient partie du domaine privé de l'Etat à la date du 1er décembre 1963, sous réserve des droits des tiers ;

b) Constitués à compter du 1er décembre 1963.

(...)

5o Les terrains réservés en vue de la satisfaction des besoins d'intérêt public d'ordre maritime, balnéaire ou touristique et qui ont été acquis par l'Etat.

« Les terrains soustraits artificiellement à l'action du flot demeurent compris dans le Domaine Public Maritime naturel sous réserve des dispositions contraires d'actes de concession translatifs de propriété légalement pris et régulièrement exécutés ».

3. Protection du domaine public maritime

a) Principe d'inaliénabilité

35. Consacré par la jurisprudence, puis repris par le code du domaine de l'Etat (article L. 52) et le CGPPP (article L. 3111-1), le principe d'inaliénabilité du domaine public est indissociable de la notion de domaine public. Le fondement de ce principe tient à l'affectation du domaine à l'utilité publique : tant que cette affectation demeure, et qu'une décision expresse de déclassement d'une dépendance du domaine public n'a pas été prise, aucune cession du domaine ne peut être autorisée. C'est une protection contre l'usucapion ou la prescription acquisitive du droit privé, d'où le principe d'imprescriptibilité complémentaire à celui de l'inaliénabilité. Ainsi, dans son arrêt Cazeaux, à propos de parcelles proches du rivage de la mer dans le bassin d'Arcachon, le Conseil d'Etat, a considéré que « alors même que les autorités publiques ont autorisé sur ces parcelles divers travaux, renoncé à plusieurs reprises à revendiquer la domanialité publique desdites parcelles (...), les auteurs de la société du domaine des prés-salés n'ont pu, de même que ladite société, acquérir aucun droit de propriété sur ces parcelles qui, faisant partie du domaine public, étaient inaliénables et imprescriptibles ».

36. Le Conseil constitutionnel a énoncé que l'inaliénabilité se limitait à ce que des biens du domaine public soient aliénés sans qu'ils aient été au préalable déclassés (C.C, no 86-217 DC du 18 septembre 1986, Liberté de communication). Il n'a toutefois pas reconnu au principe d'inaliénabilité une valeur constitutionnelle (CC, déc. no 94-346 du 21 juillet 1994, Droits réels sur le domaine public). Le Conseil d'Etat a rappelé récemment que « lorsqu'un bien appartenant à une personne publique a été incorporé dans son domaine public par une décision de classement, il ne cesse d'appartenir à ce domaine sauf décision expresse de déclassement » ; il a ainsi jugé qu'était sans incidence sur l'appartenance d'ateliers relais occupés par une société au domaine public le fait « que ces ateliers auraient vocation à être loués ou cédés à leurs occupants ou que les baux consentis en vue de leur occupation revêtiraient le caractère de contrats de droit privé » (CE 26 mars 2008, Société Lucofer).

37. Conséquence du principe d'inaliénabilité, toute cession de biens du domaine public « non déclassés » est nulle. Cette nullité entraîne une obligation de restitution pour les tiers acquéreurs, même de bonne foi. En outre, l'inaliénabilité entraîne l'exclusion, en principe, de la constitution de droits réels sur le domaine public. Toutefois, en dérogation à ce principe, le législateur a, par l'adoption de deux lois, l'une du 5 janvier 1988 instituant le bail emphytéotique administratif, l'autre du 25 juillet 1994 relative à la constitution de droit réels sur le domaine public, donné la possibilité d'octroyer des droits réels à l'occupant à titre privatif sur le DPM. S'agissant de la première, elle ne concerne que le domaine public des collectivités territoriales et de leurs groupements. En ce qui concerne la seconde, elle vise le domaine maritime artificiel et les constructions et installations immobilières réalisées pour les besoins de l'activité autorisée (article L. 34-1 du code du domaine de l'Etat puis article L. 2122-6 du CGPPP). Dans sa décision précitée du 21 juillet 1994, le Conseil constitutionnel a jugé cette possibilité conforme à la Constitution dès lors que la loi de 1994 assure la continuité des services publics et la protection de la propriété publique ; il a toutefois censuré la disposition permettant le renouvellement de l'autorisation au delà de soixante-dix ans car il était susceptible de priver de réalité le droit de la personne publique au retour de plein droit et gratuit des installations et par suite de nature à porter atteinte à la « protection due à la propriété publique ».

38. La dernière conséquence du principe d'inaliénabilité est l'insaisissabilité des biens des personnes publiques (article L. 2311-1 du CGPPP). Cette conséquence a été atténuée par la jurisprudence du Conseil d'Etat dans une affaire que la Cour a eu à connaître par la suite (Société de Gestion Du Port de Campoloro et Société fermière de Campoloro c. France, no 57516/00, 26 septembre 2006).

 

b) Police de la conservation

39. Outre les servitudes administratives, visant à protéger le domaine public des empiètements des propriétés privées, dont celle, par exemple, concernant la servitude de passage le long du littoral, d'une largeur de trois mètres, sur les propriétés riveraines du DPM instituée par une loi du 31 décembre 1976 portant réforme de l'urbanisme, la police de la conservation du domaine assure la protection de l'intégrité matérielle du DPM, ainsi que celle de l'affectation et de l'utilisation de ses dépendances. Les infractions à la police de conservation du DPM sont réprimées par la contravention de grande voirie. Celle-ci est sanctionnée par une amende pénale prononcée par le juge administratif et implique pour le contrevenant une remise de droit des lieux en l'état. Les dispositions pertinentes relatives à la contravention de grande voirie sur le DPM ne font plus référence essentiellement à la navigation mais prennent en compte la protection du littoral, protégé pour lui-même (articles L. 2132-2 et L. 2132-3 du CGPPP).

40. Selon le Conseil d'Etat, les autorités chargées de la conservation ont une obligation de poursuite (CE Ministre de l'équipement c/ Association « des amis des chemins de ronde », 23 février 1979). A propos d'une parcelle incorporée au domaine public maritime de la plage de Verghia (Corse-du-sud), le Conseil d'Etat a décidé « que la circonstance que M.A. justifierait d'un titre de propriété sur la parcelle en cause et que des autorisations lui ont été accordées pour y édifier des constructions, au titre de la législation de l'urbanisme, distincte de celle relative au domaine public maritime, est sans influence sur la matérialité de la contravention de grande voirie et n'est, en tout état de cause, pas de nature à l'exonérer des poursuites diligentées à son encontre par le préfet (...) » (CE, no 292956, 4 février 2008). S'agissant de la réparation du dommage causé au domaine public, il a été jugé que l'attitude concrète de l'administration antérieurement à la mise en œuvre de la procédure tendant à la prononciation d'une condamnation de grande voirie de l'autorisation n'était pas sans créer au profit du contrevenant des droits et notamment celui à ne pas être obligé de procéder lui-même à une remise en l'état des lieux (CE, Koeberlin, 21 novembre 1969).

4. Utilisation du domaine public maritime

41. L'usage du DPM peut être collectif ou privatif. L'utilisation collective qui permet à l'ensemble des citoyens de bénéficier du domaine public (navigation sur les cours d'eaux, plages) est libre, égale pour tous et gratuite. Toutefois, le principe de gratuité n'a pas été repris expressément par le CGPPP car il fait l'objet de nombreuses dérogations.

Les occupations privatives doivent être compatibles ou conformes avec l'affectation du domaine public. Contrairement aux utilisations collectives, elles sont soumises à autorisation, délivrée à titre personnel, donnent lieu au paiement d'une redevance et ont un caractère précaire.

L'article L. 28 du code du domaine de l'Etat (article L. 2122-1 du CGPPP) prévo

Üyelik Paketleri

Dünyanın en kapsamlı hukuk programları için hazır mısınız? Tüm dünyanın hukuk verilerine 9 adet programla tek bir yerden sınırsız ulaş!

Paket Özellikleri

Programların tamamı sınırsız olarak açılır. Toplam 9 program ve Fullegal AI Yapay Zekalı Hukukçu dahildir. Herhangi bir ek ücret gerektirmez.
7 gün boyunca herhangi bir ücret alınmaz ve sınırsız olarak kullanılabilir.
Veri tabanı yeni özellik güncellemeleri otomatik olarak yüklenir ve işlem gerektirmez. Tüm güncellemeler pakete dahildir.
Ek kullanıcılarda paket fiyatı üzerinden % 30 indirim sağlanır. Çalışanların hesaplarına tanımlanabilir ve kullanıcısı değiştirilebilir.
Sınırsız Destek Talebine anlık olarak dönüş sağlanır.
Paket otomatik olarak aylık yenilenir. Otomatik yenilenme özelliğinin iptal işlemi tek butonla istenilen zamanda yapılabilir. İptalden sonra kalan zaman kullanılabilir.
Sadece kredi kartları ile işlem yapılabilir. Banka kartı (debit kart) kullanılamaz.

Tüm Programlar Aylık Paket

9 Program + Full&Egal AI
Ek Kullanıcılarda %30 İndirim
Sınırsız Destek
350 TL
199 TL/AY
Kazancınız ₺151
Ücretsiz Aboneliği Başlat