Note d’information sur la jurisprudence de la Cour No 172
Mars 2014
Grande Stevens et autres c. Italie - 18640/10, 18647/10, 18663/10 et al.
Arrêt 4.3.2014 [Section II]
Article 6
Procédure pénale
Article 6-1
Procès public
Absence d’audience publique devant une autorité administrative de régulation des marchés pouvant imposer de lourdes sanctions : article 6 § 1 applicable ; violation
article 4 du Protocole n° 7
Droit à ne pas être jugé ou puni deux fois
Mêmes faits ayant fait l’objet de sanctions administratives et d’une procédure pénale : violation
En fait – Les requérants sont deux sociétés, M. Gabetti, leur président, M. Marrone, le fondé de pouvoir de l’une d’entre elles, et M. Grande Stevens, avocat les ayant conseillées. Ils consultèrent la Commission nationale des sociétés et de la bourse (CONSOB) relativement à une éventuelle opération financière. En réponse à une question de celle-ci, ils émirent un communiqué de presse indiquant qu’aucune initiative n’avait été entamée ou étudiée par rapport à l’échéance d’un certain contrat de financement, alors que des négociations avancées étaient en cours avec une banque anglaise. La division des marchés et des avis économiques de la CONSOB reprocha aux requérants la violation de l’article 187 ter § 1 du décret législatif no 58 du 24 février 1998 sanctionnant la diffusion d’informations, de nouvelles ou de bruits faux ou trompeurs de nature à fournir des indications fausses ou trompeuses à propos d’instruments financiers. En appel, les requérants furent sanctionnés par des amendes comprises entre 500 000 et 3 000 000 EUR, et MM. Gabetti, Grande Stevens et Marrone furent frappés d’une interdiction d’administrer, diriger ou contrôler des sociétés cotées en bourse durant quelques mois. Alors que la procédure était encore pendante devant la Cour de cassation, des poursuites pénales furent engagées contre les requérants concernant la diffusion du même communiqué de presse. Le pourvoi en cassation de MM. Gabetti et Grande Stevens était toujours pendant au moment où le présent arrêt fut délivré.
Devant la Cour européenne, les requérants allèguent que la procédure devant la CONSOB n’a pas été équitable et dénoncent un manque d’impartialité et indépendance de cet organe. Ils estiment également avoir été victimes d’une violation du principe ne bis in idem.
En droit – Article 6 § 1
a) Applicabilité – Les manipulations du marché reprochées aux requérants ne constituent pas une infraction pénale en droit italien mais sont sanctionnés par une sanction qualifiée d’« administrative » par l’article 187 ter § 1 du décret législatif no 58 de 1998.
Quant à la nature de l’infraction, les dispositions dont la violation a été reprochée aux requérants visaient à garantir l’intégrité des marchés financiers et à maintenir la confiance du public dans la sécurité des transactions. La CONSOB, autorité administrative indépendante, a pour but d’assurer la protection des investisseurs et l’efficacité, la transparence et le développement des marchés boursiers. Il s’agit là d’intérêts généraux de la société normalement protégés par le droit pénal. En outre, les amendes infligées visaient pour l’essentiel à punir pour empêcher la récidive. Elles étaient donc fondées sur des normes poursuivant un but à la fois préventif, à savoir de dissuader les intéressés de recommencer, et répressif, puisqu’elles sanctionnaient une irrégularité. Elles ne visaient donc pas uniquement à réparer un préjudice de nature financière. À cet égard, il convient de noter que les sanctions étaient infligées par la CONSOB en fonction de la gravité de la conduite reprochée et non du préjudice provoqué aux investisseurs.
Quant à la nature et à la sévérité de la sanction « susceptible d’être infligée » aux requérants, les amendes en question ne pouvaient certes pas être remplacées par une peine privative de liberté en cas de non-paiement. Cependant, elles pouvaient aller jusqu’à 5 000 000 EUR, ce plafond ordinaire pouvant dans certaines circonstances être triplé ou porté à dix fois le produit ou le profit obtenu grâce au comportement illicite. L’infliction des sanctions administratives pécuniaires susmentionnées entraîne la perte temporaire de leur honorabilité pour les représentants des sociétés impliquées, et, si ces dernières sont cotées en bourse, leurs représentants sont frappés d’une incapacité