Communiquée le 5 novembre 2015
DEUXIÈME SECTION
Requête no 67963/12
Pierre STEYAERT
contre la Belgique
introduite le 22 octobre 2012
EXPOSÉ DES FAITS
Le requérant, M. Pierre Steyaert, est un ressortissant belge né en 1955 et résidant à Bruxelles. Il est représenté devant la Cour par Me F. Krenc, avocat à Bruxelles.
A. Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.
Le requérant réside dans un chalet situé en zone forestière d’intérêt paysager dans la commune de Durbuy. Il acquit ce chalet en 1980 et y établit son domicile en 2004.
Le 20 mars 2002, suite à une plainte d’une association d’hôteliers, un procès-verbal de constat d’infraction à la réglementation urbanistique fut dressé. Il était reproché au requérant, d’une part, d’avoir exécuté ou fait exécuter, et d’autre part, d’avoir maintenu des travaux consistant en la construction de trois chalets en bois accolés avec terrasse et abris en bois et ce sans permis d’urbanisme.
Le 7 octobre 2004, le requérant reçut une citation à comparaître devant le tribunal de première instance de Marche-en-Famenne.
Par jugement du 18 novembre 2009, le tribunal de première instance de Marche-en-Famenne acquitta le requérant de la prévention portant sur la construction des chalets. Toutefois, considérant la prévention relative à leur maintien établie, le tribunal condamna le requérant à une amende de 550 euros avec sursis. Il décida en outre que la « remise des lieux en leur pristin état », c’est-à-dire à l’enlèvement des chalets, devait être réalisée.
Par arrêt du 6 décembre 2011, la cour d’appel de Liège constata que la procédure durait depuis 2004 et avait dépassé le délai raisonnable. Elle considéra qu’il y avait donc lieu, en application de l’article 21ter du titre préliminaire du code de procédure pénale, de prononcer « une peine réduite de manière réelle et mesurable par rapport à celle qu’elle aurait pu infliger si elle n’avait pas constaté la durée excessive de la procédure ». C’est ainsi que la cour d’appel confirma la peine prononcée par le premier juge, y compris l’octroi du sursis. En revanche, elle jugea que, même à considérer la remise en l’état comme une « peine » au sens de l’article 6 § 1 de la Convention, le dépassement du délai raisonnable n’impliquait pas que le juge soit empêché d’ordonner une réparation intégrale du dommage causé par l’infraction. La cour d’appel s’exprima notamment en ces termes :
« Vu le dommage considérable que peut constituer une telle infraction au niveau de la qualité du cadre de vie des habitants, ce que la société ne peut tolérer, la cour ne peut dans la présente cause se limiter à déclarer le prévenu coupable ni à prononcer une peine inférieure au minimum légal. Elle décide en conséquence de prononcer une peine réduite de manière réelle et mesurable par rapport à celle qu’elle aurait pu infliger si elle n’avait pas constaté la durée excessive de la procédure.
[...]
[...] [C]onsidérer la remise du lieu en son état initial comme une « peine » au sens de l’article 6 de la [Convention] a pour seule conséquence que les garanties prévues à ladite disposition doivent être respectées, cela n’entraîne pas que cette mesure est de nature pénale telle que les dispositions générales du droit pénal et du droit de la procédure pénale belges doivent être appliquées in casu ; le dépassement du délai raisonnable pour trancher l’action en réparation n’a pas pour conséquence que le juge serait empêché d’ordonner une réparation intégrale [...].
La circonstance que le délai raisonnable pour trancher une infraction en matière de construction est dépassé n’empêche donc pas que la remise des lieux en leur état initial puisse encore être ordonnée pour des raisons particulières légalement impérieuses, raisons que le juge est tenu d’énoncer [...]. »
Le requérant se pourvut en cassation et invoqua un moyen de cassation unique tiré de la violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 21ter du titre préliminaire du code de procédure pénale. Il reprochait à l’arrêt de la cour d’appel d’avoir, malgré le constat explicite de la violation du délai raisonnable, fait droit à la demande de remise en état des lieux.
Par arrêt du 2 mai 2012, la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant en considérant ce qui suit :
« Le demandeur fait valoir qu’ayant constaté le dépassement du délai raisonnable visé à l’article 21ter du titre préliminaire du code de procédure pénale, la cour d’appel ne pouvait plus ordonner la remise des lieux en état réclamée par le fonctionnaire délégué.
La compensation due à l’auteur d’un délit continu jugé avec retard ne réside pas dans l’interdiction de mettre fin à la situation illégale qui a pu se prolonger à la faveur du temps mis aux poursuites.
Contrairement à ce que le demandeur soutient, il ne se déduit pas de la nature « pénale » de la remise en état, au sens de l’article 6 de la [Convention], que cette mesure de réparation ne puisse plus être ordonnée par suite du dépassement du délai raisonnable.
Un tel dépassement ne saurait avoir pour effet de pérenniser une situation contraire au bon aménagement du territoire, en créant au profit du contrevenant le droit d’en conserver définitivement le bénéfice. »
Le 29 octobre 2014, le gouvernement wallon signifia au requérant l’intention ferme et définitive de faire exécuter l’arrêt du 6 décembre 2011.
B. Le droit et la pratique internes pertinents
L’article 21ter de la loi du 17 avril 1878 contenant le titre préliminaire du code de procédure pénale, inséré par la loi du 30 juin 2000, prévoit une mesure de redressement spécifique pour le dépassement du délai raisonnable de la procédure pénale, quand celui-ci est constaté par la juridiction de jugement. Cette disposition se lit comme suit :
« Si la durée des poursuites pénales dépasse le délai raisonnable, le juge peut prononcer la condamnation par simple déclaration de culpabilité ou prononcer une peine inférieure à la peine minimale prévue par la loi.
Si